Ancienne infirmière baroudeuse, Emmanuelle Mouy a fondé l’association Toques en stock, qui propose des ateliers culinaires aux plus précaires. Pour transmettre des savoir-faire autant que soigner par l’alimentation.
Je n’ai pas de madeleine de Proust : ma mère ne cuisinait pas beaucoup, elle préférait lire des polars. Je n’ai aucun souvenir de ce que nous mangions à la maison, même si je crois que c’était plutôt bon. Tout ce que je sais, c’est que nous avons eu, mes frères et sœurs et moi, une enfance bien nourrie. En revanche, j’ai très tôt pris conscience de l’impact de l’alimentation sur la santé. Je suis d’une famille mi-normande, mi-catalane. Du côté des Normands, mon grand-père, qui se nourrissait de beurre, de crème et de cidre, a fait quatre infarctus et est mort à 70 ans. Mes grands-parents catalans, qui cuisinaient à l’huile d’olive, ont vécu jusqu’à 100 ans, en pleine forme.
Dès toute petite, j’ai voulu travailler dans l’humanitaire, être infirmière et faire le tour du monde, voyager en m’occupant des gens… J’ai commencé comme assistante sanitaire dans des colonies de vacances, puis je suis partie deux ans en Guyane pour être infirmière sur le fleuve Maroni. On faisait tout : les accouchements, le dépistage du paludisme, les évacuations en pirogue. C’était le bout du monde, l’aventure payée par la Sécurité sociale, j’ai adoré. J’ai sillonné l’Amérique du Sud, puis je suis partie en Ethiopie, dans un orphelinat. Etre infirmière, c’est un passeport pour voyager, mais c’est aussi travailler avec la maladie et la souffrance, ce n’est pas simple.
Pendant trente ans j’ai râlé, mais pendant trente ans j’ai été infirmière, quand même. Après quelques mois en Inde, je suis rentrée à Paris, au Samusocial, afin de faire de l’humanitaire localement. Cela me convenait bien, car j’ai toujours eu du mal à être dans une structure fixe : la notion de mobilité, aller vers, au-devant de, cela prend tout son sens quand on s’occupe des personnes cassées. Je me suis arrêtée quelques mois à la naissance de ma fille, puis je suis arrivée chez les Petits Frères des pauvres, en vue de développer le pôle santé auprès d’adultes en grande difficulté.
Plus j’avançais, plus je me rendais compte à quel point la précarité alimentaire a un impact sur la santé et la vie des gens. Progressivement, je me suis mise à cuisiner avec les personnes dont je m’occupais. Je préparais des petits déjeuners sains, des fruits, des graines, pour les femmes en hôtels sociaux. Je leur faisais rencontrer des médecins, des diététiciennes, des profs de yoga…
Au fil des consultations, je me suis aperçue que nombre de mes patients étaient issus des métiers de bouche. J’avais beaucoup de toques en stock ! C’est ainsi qu’est née l’idée (et le nom) de mon association, créée en 2021. J’ai obtenu un CAP cuisine à l’école Ferrandi, à Paris, pour apprendre les bases d’une cuisine saine et les transmettre.
Aujourd’hui, on anime des cycles d’ateliers autour du gras, du sel, du sucre, avec beaucoup de végétal. En hôtel social, les femmes n’ont souvent ni cuisine ni ustensiles… Alors on leur propose de faire avec une bouilloire électrique ou un fer à repasser, comme ce maquereau plein d’oméga-3. La cuisine, même avec trois fois rien, c’est un outil de médiation magique – et ça peut sauver des vies.
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