Par Pauline Darvey Le 25 février 2025
Pili avait l’habitude de boire « beaucoup de sodas ». Mais depuis quelques semaines, cette photographe freelance de 57 ans a quasiment arrêté les Coca-Cola et autres Orangina. L’électrochoc s’est produit lors de l’un des 6 ateliers de « cuisine santé » gratuits organisés dans le centre social de son quartier de la porte Montmartre à Paris (XVIIIe), à deux pas du boulevard périphérique et de Saint-Ouen.
« Il y a une séance, où ils nous ont montré combien il y a de morceaux de sucre dans un verre, rembobine la quinquagénaire aux longs cheveux bruns. Je savais que c’était très sucré mais pas ce point ! ». Pili a aussi « complètement changé son assiette » : « Je ne fais plus un repas sans une salade, je mange des fruits, j’ai arrêté le sel raffiné, je rajoute des graines dans ma vinaigrette… », liste-t-elle dans un grand sourire.
Ce jeudi après-midi, la deuxième session de l’atelier du jour vient de débuter dans le coin cuisine du rez-de-chaussée. Après le sel, le gras ou le sucre, place au fameux « manger-bouger » que tout le monde a déjà entendu à la télé ou à la radio.
Charlotte Milliot, qui cumule les casquettes de naturopathe, de cuisinière et d’ex-infirmière, livre quelques astuces pour lutter contre la sédentarité. « Il y a toujours une petite phase pédagogique sur l’un des thèmes déclinés dans le programme national nutrition santé (PNNS) dont nous sommes référents puis une partie atelier cuisine en lien avec », contextualise Emmanuelle Mouy, fondatrice et directrice de l’association « Toques en stock », qui assure ces rendez-vous toutes les deux semaines.
L’ancienne infirmière a, elle aussi, troqué sa blouse contre un tablier en 2021. Au bout de trente années dans le social, l’énergique quinquagénaire en a « eu marre » de voir des patients mourir jeunes de « pathologies évitables comme l’obésité, le diabète ou des maladies cardio-vasculaires ». « Aux Petits frères des pauvres, j’accompagnais des plus de 50 ans vers le logement, retrace l’ex-cadre de santé. Mais après des années à la rue à ne manger souvent que du froid, certains ne savent même plus se faire cuire un œuf. Je me suis dit qu’il y avait un vrai travail à faire autour de l’alimentation. »
Un CAP cuisine en poche, Emmanuelle Mouy remporte « Mieux manger pour tous », un appel à projets lancé par l’État « pour lutter contre la précarité alimentaire ». Elle s’achète une camionnette et commence à sillonner les rues à Paris pour aller à la rencontre des mères célibataires hébergées dans des hôtels sociaux, des consommateurs de drogue, des détenus… « Plus on est précaire, moins on végétalise son assiette parce que c’est plus cher mais aussi parce qu’on ne connaît pas forcément les légumes du pays quand on vient d’ailleurs », rappelle la spécialiste.
Depuis le mois de novembre, la Ville de Paris fait appel à son association pour animer « Toc Toques Panier » dans deux quartiers des XVIIIe et XIXe arrondissements. Un test qui s’inscrit dans une série d’expérimentations lancées par la mairie « autour de l’alimentation saine et durable » avec un budget global de 300 000 euros. Parmi elles, la distribution – au moins jusqu’au mois d’avril – de cartes prépayées mensuelles de 125 euros à une centaine d’étudiants pour faire leurs courses alimentaires.
Avec « Toc Toques Panier », le principe consiste à combiner la livraison de paniers de légumes bio et locaux vendus à prix libre et des ateliers où les habitants apprennent à les cuisiner. « L’idée, c’est vraiment de rendre ces produits accessibles, insiste Nina Arnould, la coordinatrice de Val Bio Île-de-France, le jardin d’insertion du Val-de-Marne qui fournit les légumes. Il y a la question de leur prix mais ce n’est pas le seul frein. Il faut aussi apprendre à les connaître pour pouvoir se les approprier. »
Au menu cette semaine, des topinambours qui ont déjà servi à préparer une première soupe. Mais aussi des pommes de terre et des patates douces que Fatima, Danièle et Jamila s’appliquent à découper en petits morceaux. Les trois retraitées sont toutes venues « un peu par hasard ». « On apprend plein de choses, s’enthousiasme Fatima. Ce serait tellement dommage que ça s’arrête… »
Car, porte Montmartre, les 6 séances programmées s’achèvent avec cet atelier. Quelques séances sont encore programmées dans le XIXe arrondissement. Et après ? « La décision d’une éventuelle prolongation ou développement du dispositif est attendue avant l’été », indique la Ville de Paris, qui a missionné, en parallèle, l’Agence nouvelle des solidarités actives (Ansa) d’évaluer l’impact de l’opération auprès de la centaine de participants. L’association de lutte contre la pauvreté remettra son rapport en octobre « mais des points intermédiaires sont prévus avant », précise la mairie, qui a consacré 29 500 euros à ce projet.
Comme Fatima, Pili croise aussi les doigts pour que les séances se poursuivent. « Ça crée du lien social, insiste celle qui habite le quartier depuis vingt-cinq ans. Je discute maintenant avec des voisines quand je les croise ! »